Jean-Pascal Archimbaud, président de la Fédération nationale du bois
et Vincent Lefort, président du Syndicat des mérandiers de France
Le Syndicat des mérandiers de France (SMF) vient de signer une convention d’affiliation avec la Fédération nationale du bois (FNB), l’organisation professionnelle des acteurs de la mobilisation et de la transformation du bois en France. Leurs présidents respectifs, Vincent Lefort et Jean-Pascal Archimbaud, se sont livrés à une interview croisée pour dresser un état des lieux de la filière du chêne dans un contexte où les défis à relever sont nombreux, à commencer par celui du changement climatique.
Le SMF vient de s’affilier à la FNB. Quelles perspectives voyez-vous à ce rapprochement ?
JPA : La merranderie est à la croisée des chemins entre le vin et le bois. Des défis stratégiques et structurels sont à relever pour le vin comme le bois. Le point commun c’est le changement climatique. Personne n’a la capacité de relever seul ce défi. Aussi « faire filière » reste le moyen le plus efficace et le plus puissant pour s’adapter. De plus la sphère privée et professionnelle ne doit pas laisser les ONG et la sphère publique accaparer le débat et les solutions. Notre principal atout doit rester le bon sens et le pragmatisme. Nous devons devenir force de proposition. Ce rapprochement oblige également les parties à se parler, s’écouter et trouver des consensus où l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers. Nous ressentons une certaine délivrance des acteurs suite à cet accord que certains appellent de leurs vœux de longue date. Chacun doit maintenant trouver au plus vite sa place dans ce nouveau dispositif.
VL : L’affiliation du Syndicat des mérandiers de France à la Fédération nationale du bois marque un tournant stratégique pour la filière. Ce rapprochement renforce la représentation des mérandiers auprès des institutions et des instances de la filière forêt-bois, à un moment où les enjeux d’approvisionnement en chêne de qualité sont cruciaux. Il permettra un dialogue renforcé sur la gestion durable de la ressource, la traçabilité des bois, et l’accès à la matière nécessaire à la production de merrains, dans un contexte de pression croissante sur les forêts feuillues françaises. Sur le plan de la RSE, cette intégration facilite la mise en œuvre de démarches collectives autour de la certification, de la valorisation du bois français, et du respect des bonnes pratiques environnementales et sociales. Ce rapprochement ouvre ainsi la voie à une meilleure structuration de la filière, dans une logique de durabilité, de compétitivité et de souveraineté économique.
Un accord de filière chêne a été signé en février 2022 puis renouvelé en juillet 2023. Quel avenir lui voyez-vous ? De prochaines discussions sont-elles prévues ?
JPA : L’accord de filière chêne a été mis en place en période de crise aigüe à l’initiative des pouvoirs publics pour palier leur incapacité à convaincre la forêt privée et leurs partenaires commerciaux de donner spontanément priorité à la transformation nationale. On est typiquement dans le cadre d’une contradiction entre intérêts individuels immédiats et l’intérêt général et de moyen terme, l’attrait du gain immédiat versus le maintien de débouchés de proximité sur le moyen terme. Le gouvernement a jugé qu’il était garant de l’intérêt général et devait intervenir pour faire baisser le niveau d’exportations de grumes pour sauvegarder l’industrie nationale. C’est en quelque sorte une clause de sauvegarde nationale. En somme réguler les excès et préserver la souveraineté industrielle nationale. À ce jour, l’accord est en sommeil en raison de conditions de marché plus équilibrées.
VL : L’accord de filière chêne constitue un cadre de dialogue important, qui ne peut réussir que si tous les acteurs stratégiques y sont associés. Les mérandiers – premiers clients en valeur de l’ONF pour l’achat de chêne – doivent pouvoir être entendus d’autant que leur activité est au cœur de la valorisation du chêne français et contribue directement à la seule filière bois excédentaire dans la balance commerciale nationale : l’exportation de tonneaux. Nous voyons donc l’avenir de cet accord sous l’angle d’une nécessaire ouverture et d’une gouvernance plus représentative. Il doit intégrer les mérandiers pour mieux anticiper les volumes, la qualité des approvisionnements et renforcer la compétitivité internationale de la tonnellerie française. Notre ambition, qui doit être collective, est claire : un accord réellement fédérateur, garant de l’équilibre économique, écologique et social de la filière chêne afin d’ancrer en France la transformation à haute valeur ajoutée.
Quels sont les grands enjeux de la matière bois pour les 5 années à venir ?
JPA : Le principal enjeu c’est la ressource chêne. Elle diminue en quantité et en qualité. Ce n’est pas un phénomène nouveau mais il s’accélère avec le changement climatique. Pour la partie merranderie c’est dramatique car le cahier des charges des produits aptes à la tonnellerie n’est pas extensible. Pour la scierie ça l’est aussi avec des qualités secondaires en surnombre face à un marché historiquement orienté vers le haut de gamme. Le second c’est la sylviculture et la récolte. Les obstacles et contraintes se multiplient. Vandalisme, renouvellement forestier entravé ou encore arrêts de chantiers pour présence supposée d’espèces protégées. Le troisième c’est la compétitivité des entreprises. Les entreprises subissent des charges d’impôts de production et plus généralement des charges de structures qui sortent petit à petit des entreprises du marché. Nous sommes dans une forme de déni sur ce point.
VL : Dans les cinq années à venir, l’enjeu majeur sera de préserver la qualité du bois, en particulier du chêne, ressource stratégique pour notre filière. Le changement climatique accentue les risques : sécheresses, canicules, maladies et dépérissements fragilisent les peuplements et impactent directement les propriétés du bois. Ces évolutions menacent la production de merrains, qui exige une qualité irréprochable. La régénération des forêts devient aussi plus incertaine, compromettant la pérennité de la ressource. Face à cela, il est indispensable d’adapter les pratiques sylvicoles, de renforcer la recherche et d’investir dans une gestion durable et anticipatrice. L’objectif est clair : maintenir un chêne de haute qualité malgré les aléas climatiques, pour garantir l’excellence française de la tonnellerie et préserver un savoir-faire unique reconnu dans le monde entier.
Les exportations de bois vers la Chine ont augmenté de 6% au premier semestre 2025. Quels moyens développer pour conserver notre bois en France et le valoriser sur nos territoires au-delà du Label APECF ?
JPA : Les exportations vers la chine ont baissé de 50% par rapport au pic de 2022 mais restent toujours à un niveau élevé proche de 300 000m3. Depuis la fermeture des imports de grumes des États-Unis en Chine un report s’est opéré en Europe car c’est la seule zone du monde qui ne protège pas sa ressource. Les exportations françaises ont bondi modérément avec +6%. Dans les autres pays européens c’est +40 à +60%. Les outils mis en place (label UE, accord chêne, contractualisation, etc…) font effet pour l’instant d’amortisseur. Mais à tout moment le phénomène peut s’emballer.
VL : Au-delà du Label APECF, il est indispensable de conserver notre bois pour développer la transformation en France, source directe d’emplois et de valeur ajoutée sur nos territoires. Limiter toutes les exportations de grumes bien au-delà des forêts de l’ONF et soutenir les forestiers français et européens pour un usage local renforcerait notre compétitivité. Chaque mètre cube transformé ici génère plus de richesses que s’il part brut à l’étranger. Préserver notre chêne, c’est préserver un excédent commercial unique et un savoir-faire reconnu mondialement.
Les obligations contenues dans le RDUE doivent s’appliquer à partir du 30 décembre 2025 et du 30 juin 2026 pour les petites et moyennes entreprises. Peut-il encore être remis en cause ? La FNB a-t-elle des pistes de simplification ?
JPA : Le RDUE c’est la caricature d’une bonne intention mal légiférée. Personne en France ne soutient la déforestation. En France on en est loin puisque la forêt grandit de plus de 85 000 hectares par an. Mais certaines zones du globe restent problématiques. Les mesures demandées aux entreprises françaises sont totalement disproportionnées. De plus le texte est si mal écrit que les autorités européennes sont obligées de publier des notices d’interprétation qui insécurisent les entreprises. Il existe trois catégories de pays selon le risque de déforestation (élevé, standard, faible). Nous plaidons pour l’ajout d’une quatrième catégorie, « risque négligeable », qui permettrait d’exonérer les entreprises de la lourdeur administrative. L’autre solution vise à sortir certains codes douaniers.
VL : Les mérandiers partagent pleinement l’analyse de la FNB sur le RDUE : les futures obligations en l’état sont disproportionnées pour une filière française (métropolitaine) vertueuse en matière de gestion durable. Nous soutenons la création d’une catégorie « risque négligeable » ainsi que l’exclusion de certains codes douaniers.
La filière REP des Emballages professionnels industriels et commerciaux (EIC) doit entrer en vigueur courant 2025. A l’instar des palettes, les tonneaux pourraient-ils être également concernés à plus ou moins longue échéance ?
JPA : La REP Emballages découle d’une directive européenne sur les emballages (PPWR). C’est cette directive européenne qu’il faut suivre car elle va impacter tous les emballages sans exception. Le réemploi est au cœur des objectifs.
VL : Même si nous ne devrions pas être concernés, c’est un cas de veille assuré par la FNB qui nous rend service et contribue à la pérennité de notre métier. »